Mobilité Internationale à Nivelles - Belgique
Mon stage touche à sa fin, voilà 11 semaines que je suis presque au quotidien dans la Communauté Thérapeutique "La Traversière" en Belgique. Pour situer un peu la structure, je vais vous parler un peu du pays, un peu du secteur de soins en santé mentale, un peu de l'histoire de la structure et un peu du quotidien de mon stage, avec quelques références à la psychothérapie institutionnelle.
Malgré sa proximité avec la France, la Belgique est un pays dont l'organisation politique et administrative est relativement différente de chez nous, les niveaux politiques sont : le fédéral, les communautés et les régions. Il y a en tout trois communautés (française, flamande, germanophone), trois régions (Flandre, Wallonie, Bruxelles-Capitale) et dix provinces. Le système politique est une monarchie constitutionnelle fédérale. La Belgique est un état indépendant depuis 1830 (je vous dis tout ça parce que je ne le savais pas avant d'y aller). La culture est également particulière, notamment à Bruxelles, ville flamande habitée par 90% de francophones (dites "nonante pour-cent") où la population est assez hétéroclite (grande diversité culturelle et sociale).

Photo : La Grand Place de Bruxelles

Photo : Le (tout petit) Manneken Pis
Au quotidien cependant, je n'ai pas connu vraiment de dépaysements en arrivant, exceptés les expressions et l'accent qui sont différents, il faut juste s'habituer au "septante", "nonante", et aux expressions telles que "à tantôt", "ça va" (pour dire "ok" ou "d'accord"), "je te sonne" ("je t'appelle"), les "essuies" (prononcer "essouie" pour les serviettes et torchons), "la tirette" ("fermeture éclair"), "le sucre impalpable" ("le sucre glace") etc etc. C'est surtout quand on va en Flandres, que les affiches, publicités, noms de magasin ne sont pas en français que c'est quand même bien différent (et puis la langue est différente aussi bien sûr!) mais je suis principalement restée à Bruxelles, et mon lieu de stage se situait dans une région francophone.
Le pays est connu pour ses bières, ses frites et ses gaufres. Je confirme, ces trois là sont excellentes.

Petit détour sur le secteur des soins en santé mentale : (attention, un peu long, mais important pour comprendre comment ça fonctionne ainsi aujourd'hui)
Le secteur de soins en santé mentale en Belgique s'est construit par étapes pour arriver à une logique de différenciation des traitements, de diversification des structures d'accueil ainsi que l'intégration progressive des patients dans la société.
Dans les années 50, une distinction s'opère entre malades chroniques et aigus, qui entraine la fin des asiles d'aliénés, remplacés alors par deux services (l'un axé sur l'intervention de crise, l'autre davantage sur la réadaptation sociale des patients). Peu à peu, sous l'impulsion de lois sur les hôpitaux et la création de l'assurance maladie-invalidité, les intervenants du secteur se professionnalisent, les médecins aliénistes se reconvertissent en psychiatres hospitaliers. Dans les années 60, l'émergence de courants d'idées tels que l'anti-psychiatrie, la psychanalyse, ou encore la sociologie clinique remettant en cause l'enfermement et l'hospitalocentrisme ont une influence en Belgique. Des formes institutionnelles innovantes surgissent avec une autre approche de l'institution, et l'organisme d'assurance maladie-invalidité (l'INAMI) passe alors des conventions uniques avec ce type de structures qui sont aujourd'hui répertoriées comme des « centres de revalidation psychosociale ».
Dans les années qui suivent, d'autres lois sur l'hôpital général vont améliorer la prise en charge des patients avec des maladies psychiatriques (notamment en reconnaissant la maladie mentale au même titres que d'autres). Ces réformes vont dans le sens d'un développement des structures alternatives conventionnées avec l'INAMI en s'appuyant sur la reconversion de lits hospitaliers. Une première phase de reconversion des lits d'hôpitaux a eu lieu dans les années 1990, un seconde phase en 1997 afin de récupérer les moyens financiers nécessaires pour répondre aux besoins en matière de santé mentale.
La réorganisation du secteur la plus récente introduit la notion de "réseaux et circuits de soins". Toutes les structures qui sont susceptibles d'être dans le parcours des personnes malades sont identifiées et une concertation ("concertation transversale") a lieu entre les lieux de soins qui ont en commun ce qui est appelé un "groupe cible" (différenciation des patients selon des caractéristiques liées notamment à leur âge). Ainsi, en plus des hôpitaux généraux et des hôpitaux psychiatriques, il existe d'autres structures telles que les Initiatives d'Habitation Protégée (ce sont des structures qui accueillent très peu de patients, environ 5 je crois, qui vivent en communauté dans une même habitation, avec un personnel qui passe de manière régulière mais pas quotidienne), les Maisons de Soins Psychiatriques (qui sont également des lieux de vie communautaire qui accueillent un public un peu moins autonome), les Centres de Santé Mentale (un endroit d'accueil, d'écoute, de conseil, d'accompagnement), et les centres de revalidation psychosociale, comme par exemple les communautés thérapeutiques. Certaines de ces structures sont gérées par des hôpitaux, d'autres se sont constituées en association.
La structure au sein de laquelle j'ai effectué mon stage est donc une communauté thérapeutique, et fait partie des "centres de revalidation psychosociale". C'est une structure résidentielle, qui accueille une quinzaine d'adultes en souffrance psychiatrique pour une durée d'un an (le contrat est renouvelable, donc les personnes peuvent rester jusqu'à deux ans à La Traversière). Les patients déposent leurs bagages, s'installent, deviennent peu à peu des résidants responsables, libres d'aller et venir (plaquette de la structure). La Traversière a choisi d'appeler « résidants » (et non « résidents ») les personnes qui sont accueillies, en justifiant ce choix par le fait que les personnes habitent les lieux, y résident.
La Traversière a été créée par quatre professionnels qui travaillaient auparavant au sein d'une autre communauté thérapeutique (celle-ci a connu dans les années 1980 diverses problématiques institutionnelles, ce qui les a amené à quitter le lieu). Une partie de l'équipe de cette communauté thérapeutique les a suivi dans le projet de créer une nouvelle structure, plus en adéquation avec leurs principes et leurs valeurs. Plusieurs d'entre eux avaient effectué des stages au sein de la Clinique de La Borde et avaient donc une volonté de créer cette nouvelle structure en s'appuyant sur les principes de la psychothérapie institutionnelle. C'est ainsi qu'est née La Traversière.

D'où vient le nom de La Traversière ? (http://www.latraversiere.be/la-nom-la-traversiere/)
"- Bateau qui fait le va-et-vient entre deux points
– fort cordage dont l’un des bouts se fixe autour du collet d’une ancre de bossoir.
- Point de solide arrimage et véhicule de passage d’une rive à l’autre, vouée aux aventureuses traversées, que peut-on lui souhaiter à cette coque « Traversière », si ce n’est bon vent !!!
A son bord, les marins qui n’en sont pas à leur premier voyage, ont le cœur à l’ouvrage et la passion de la mer.
De petit tonnage, le navire qui remonte lentement le courant, essaie de mener ses passagers à bon port (même s’il faut parfois changer le cap) et, sans cou/férir, les transborde avant les rembarquements déjà proches.
Il ne craint guère les longs périples avec théories de tempêtes, privations, incertitudes.
Toujours en mouvement, « La Traversière » rencontre sur sa route nombre de naufragés, de provenances diverses (navires échoués, abordés ou sabordées), parfois d’origines incertaines. Sagement alors, elle jette l’ancre et se met en rade le temps qu’il faut pour remonter à bord (le cas échéant, on met la chaloupe à la mer), prendre pied avec lui et langue avec l’équipage. Les rescapés, une fois restaurées et rassénérés, participant à nouveau de l’esprit du voyage, disent eux-mêmes leurs lointaines destinations."
Jean-Marc Poellaer
Texte venant du livre d’or, écrit en septembre 1990"

Photo : Le Jardin de La Traversière
Lors de la création de la structure en 1990, l'équipe a mis en place des outils relatifs à la psychothérapie institutionnelle, tels que le club thérapeutique, la grille (le principe était que les travailleurs s'inscrivaient par roulement pour venir travailler, il y avait l'idée de circulation des travailleurs afin d'éviter la spécialisation. La grille n'est plus effective aujourd'hui pour des raisons externes à l'institution sur les horaires et le temps de travail), les salaires égaux (un des psychologues qui est un des "fondateurs" de La Traversière a d'ailleurs raconté la difficulté alors de trouver un psychiatre qui accepterait d'être payé à un salaire plus bas qu'ailleurs. Ce principe n'est aujourd'hui plus mis en oeuvre), les réunions institutionnelles et communautaires.
Même si tous les outils n'ont pu être maintenus dans le temps, en raison notamment de contraintes externes sur le temps de travail par exemple, la psychothérapie institutionnelle est encore aujourd'hui un des principes sur lesquels s'appuie l'institution. Ainsi, il s'agit pour l'équipe de se questionner constamment sur : comment minimiser les effets de l'institution (les rapports de pouvoir, être vigilant pour ne pas que l'institution ne se chronicise). Une réflexion sur la vie en collectivité, l'ambiance, l'autorité, mais aussi la liberté et la circulation est également régulièrement menée. L'association a d'ailleurs publié un ouvrage à ce sujet : "Penser l'espace, initier la circulation" (que je pourrai vous prêter si ça vous intéresse). L'idée que "c'est dans le quotidien que ça se passe" reste présente au sein de l'institution. Et pour permettre cela, l'organisation du lieu, les différents espaces, les tâches quotidiennes sont des points essentiels, qui ne sont pas figés et la manière de les appréhender nécessite une vigilance et un questionnement constants pour ne pas que l'institution devienne violente ou pathogène. La double approche spécifique à la psychothérapie institutionnelle est à l'oeuvre à La Traversière, d'un côté une approche sociologique de l'institution qu'il faut traiter comme si elle même était malade, et de l'autre une approche psychanalytique de la maladie, de la psychose.
Au quotidien, la vie communautaire est le point central. Le lundi matin, la réunion institutionnelle des résidants est l'espace au sein duquel s'organise la semaine, avec la répartition des tâches : ménage et cuisine, on décide qui sera la personne responsable des budgets, de celle qui animera la prochaine réunion. C'est un résidant et un travailleur qui co-animent la réunion et chacun se positionne sur une tâche un ou plusieurs jours de la semaine. Ainsi, cela permet que les personnes ne s'enferment pas dans une tâche afin d'éviter le cloisonnement. Un grand tableau affiché dans la salle à manger est rempli à l'issue de la réunion, que chacun peut consulter (travailleurs et résidants).

La journée du lundi est également la journée de réunion institutionnelle de l'équipe, où l'on échange à propos des résidants, de l'organisation de la semaine, puisque les travailleurs se positionnent également sur les tâches. Cette réunion est suivie de la réunion de candidature pendant laquelle l'équipe fait le point sur les personnes souhaitant intégrer l'institution (cette réunion est intéressante car j'ai pu voir l'importance accordée à l'ambiance du groupe actuellement accueillie dans l'institution dans le choix de poursuivre favorablement ou non une candidature). Puis, la réunion clinique est axée spécifiquement sur trois ou quatre résidants, chacun des travailleurs pouvant alors apporter son point de vue, et rapporter à tous ce que tel ou tel résidant a pu déposer auprès de lui. Une des idées de la psychothérapie institutionnelle est la "constellation transférentielle" : dans leur morcellement, les résidants peuvent déposer des choses ici ou là. Ainsi, ce n'est pas seulement l'apport des psychologues qui rencontrent les résidants au cours d'entretien qui est valorisé, mais bien la parole de chacun, peu importe son statut (éducateur.trice, psychologue, cuisinière, assistante sociale, ouvrier polyvalent, directeur, psychiatre).
Le jeudi après-midi, après la balade, le club thérapeutique ("La Traversée") réunit les résidants et travailleurs qui souhaitent y participer. C'est l'espace de discussion concernant les activités qui se sont déroulées (la remise des tickets pour les activités passées, car La Traversée a un budget propre), et celles qui pourront être mises en place. Chacun prend la parole à son tour et peut proposer une activité.
Le vendredi matin, la réunion communautaire est une instance à laquelle doivent participer tous les résidants. C'est une réunion qui permet de réguler la vie de la communauté. On revient sur les événements de la semaine (visites, arrivées, sorties, etc.), et chacun prend la parole à tour de rôle pour exposer ses points (un des points récurrents lors de mon stage était d'éviter d'utiliser plusieurs tasses par jour pour se servir du café, mais de rincer et de réutiliser sa tasse afin de ne pas trop alourdir le travail de la personne responsable de la cuisine). On revient aussi sur ce qui a été discuté à La Traversée.
Le reste de la semaine, divers ateliers et activités sont proposés : balade, jardin, écriture, création, soins du corps, équitation, bowling, shopping … Pour ma part, j'ai pu participer tout le long de mon stage à l'atelier théâtre, qui se déroule au sein du Centre de jour (car l'association a aussi crée un centre de jour pour des personnes qui ont des problématiques psychiatriques, c'est une structure dont les locaux sont accolés à ceux de La Traversière). Ainsi, les mardi après-midi, je me rendais à cet atelier, accompagnée par un ou deux résidants de La Traversière, pour deux heures de théâtre, au sein d'un groupe réunissant aussi des usagers du centre de jour et des professionnels, ainsi qu'un intervenant qui anime l'atelier. J'ai pu participer à d'autres ateliers et activités, et même animer un atelier expression avec un autre stagiaire.

Le premier jour de mon stage, il m'a été difficile de distinguer d'un seul regard les "soignants" des "soignés", puisqu'ici, bien entendu, pas de blouse blanche. On se tutoie ou se vouvoie selon chacun. Les résidants sont libres d'aller et venir, de rentrer et sortir. Difficile aussi au début de distinguer la profession de chacun des travailleurs, puisqu'il est possible de rencontrer un psychologue, un éducateur ou une éducatrice, l'assistante sociale ou encore le directeur de l'institution en train d'éplucher les pommes de terre pour la soupe en discutant avec les résidants responsables de cuisine.
Peu à peu, on s'intègre dans ce fonctionnement, et j'ai pu me rendre compte de l'importance des tâches, des ateliers et des activités, qui sont des supports à la rencontre. Des résidants ont déposé des choses pendant qu'on faisait la vaisselle, qu'on faisait les courses, où que l'on était dans un de ces nombreux moments "creux". Avant le stage, j'avais eu la chance de pouvoir rencontrer un des psychologues qui fait partie de l'équipe de supervision des stagiaires (on est très bien suivi !), ainsi que passer une journée là-bas, et j'avais donc été prévenu de ces moments "creux" où le travailleur ne doit pas forcément proposer toujours quelque chose, mais davantage s'adapter au moment. Ce sont des occasions de rencontre, encore, de discussions autour de l'actualité, de la maladie, de la pluie et du beau temps. Toulouse et la France ont été des sujets souvent abordés et questionnés, ainsi que mon choix de venir à La Traversière.

Lors de la fin de mon stage, des travaux afin de rénover un peu la cuisine étaient en route. En fait, il y a un mouvement de régionalisation des soins de santé mentale, c'est-à-dire que ce seront bientôt les Régions qui vont reprendre les compétences qu'a actuellement l'INAMI (qui est au niveau fédéral. Les compétences, je ne vous les détaille pas parce que je les connais pas bien, mais en gros, la structure a une convention unique avec l'INAMI et ça implique une assez grande liberté dans l'organisation et le fonctionnement de la structure), et il y a un risque réel pour l'institution de voir apparaître des nouvelles normes de sécurité et d'hygiène et des contrôles qui compromettraient le travail actuellement mené avec les résidants, notamment autour du quotidien, ménage, cuisine etc. Du coup, le directeur essaie de prendre un peu les devants, et participe avec l'ouvrier polyvalent à des formations sur les normes d'hygiène et sécurité, afin de faire au mieux avant que des contrôles soient mis en place (d'où les travaux dans la cuisine). L'ambivalence entre les exigences de l'extérieur et le fait de prendre soin des gens est présent, et menace parfois le travail mené par l'équipe d'une institution telle que La Traversière.
Bon voilà, cette dernière partie est un peu en vrac, et je ne vous décris pas la richesse des rencontres que j'ai pu faire, parce que c'est difficile à écrire et difficile à partager. Je suis encore très loin d'avoir compris les maladies mentales, la psychose et tout ça, mais j'ai pu percevoir une manière de travailler et une approche de la maladie, de l'institution, des espaces de rencontres et des outils vraiment très intéressants. Partir (même si ce n'est pas si loin) est également une expérience très riche. Pour finir quelques photos un peu en vrac aussi.






À bientôt !
Adèle ES16